La petite part cyanobactérienne de notre génome et ses grandes conséquences sur notre évolution

La lactate déshydrogénase (LDH) est une enzyme clé du métabolisme. Chez les eucaryotes, et chez l’homme en particulier, elle contribue au maintien d’une voie métabolique essentielle, la glycolyse en cas de stress anaérobie. Elle intervient aussi dans des mécanismes de communication entre cellules. On peut ainsi citer les interactions entre les cellules cancéreuses et saines ou la communication entre les neurones. Elle est de fait une des enzymes les plus étudiées.

Au niveau structural, les LDHs humaines se distinguent de leurs homologues bactériens par la présence de longues extensions N-terminales qui participent à l’assemblage en tétramère. En effet les LDHs bactériennes sont plus courtes et subissent des réorganisations structurales qui leur permettent d’être régulées par un processus d’activation allostérique. Une propriété qui n’existe plus chez les enzymes eucaryotes. On a longtemps pensé que la perte de régulation allostérique chez les LDHs humaines était la conséquence de la présence des extensions qui empêchaient les changements conformationnels associés à l’allostérie. En pratique, aucune expérimentation venant étayer ou contredire cette hypothèse n’avait été faite jusqu’à cette étude et aucun scénario évolutif expliquant la présence de LDHs dans les eucaryotes n’existait.

Adeline Robin, Eric Girard et Dominique Madern du groupe ELMA de l’IBS. ainsi que Céline Brochier-Armanet du Laboratoire de Biométrie et Biologie Evolutive (LBBE), ont d’abord élucidé le processus par lequel les LDHs sont apparus chez les eucaryotes. Celui-ci est lié à un transfert de gène très ancien d’une cyanobactérie vers une cellule eucaryote primitive. En effet, il a été possible de mettre en lumière un groupe de cyanobactéries qui possèdent des LDHs aux caractéristiques de séquences typiques des eucaryotes, notamment la présence de longues extensions N-terminales. De manière inattendue, les propriétés biochimiques de la LDH de cyanobacterium aponinum (C. apon), ont montré que l’enzyme était sous contrôle allostérique par activation. Les chercheurs ont aussi déterminé la structure de la C. apon LDH dans les formes inactive et active et ont ainsi pu observer les changements de conformation associés. Ces observations ont donc permis d’invalider l’hypothèse du rôle des extensions dans la perte de la régulation allostérique chez les eucaryotes.

Les chercheurs ont ensuite analysé la trajectoire substitutionnelle en acide aminés le long des différentes lignées eucaryotes (Plantes, métazoaire etc) et ont proposé que l’extinction de l’allostérie chez les LDHs eucaryotes était la conséquence d’une mutation, dans une région clé de l’enzyme, unique et spécifique à chaque grande lignée. Afin de valider cette observation, la LDH de C. apon prise comme point de départ a été utilisée pour sonder les conséquences de l’introduction de ces mutations uniques. Ainsi, un premier mutant simple de la LDH de C. apon mime parfaitement les propriétés des LDHs de plantes et le second possède en grande partie les propriétés d’une LDH humaine.

Ces travaux montrent la pertinence des approches conjointes de biochimie évolutive et de biologie structurale et permettent d’expliquer non seulement la mise en place de la dernière étape de la glycolyse au cours de l’évolution chez les eucaryotes mais aussi le mécanisme moléculaire de d’extinction de l’allostérie dans les LDHs humaines.

Deciphering Evolutionary Trajectories of Lactate Dehydrogenases Provides New Insights into Allostery. Robin AY, Brochier-Armanet C, Bertrand Q, Barette C, Girard E, Madern D. Mol Biol Evol. 2023 Oct 4 ;40(10):msad223. doi : 10.1093/molbev/msad223.

Contact : Dominique Madern, chercheur CNRS du groupe Extremophiles et grands assemblages moléculaires (IBS/ELMA)