Ciblage d’une voie épigénétique comme stratégie antifongique
Les infections fongiques invasives représentent un enjeu majeur de santé publique, avec plus de 6 millions de cas et 2,5 millions de décès estimés chaque année dans le monde. L’émergence de souches fongiques résistantes aux traitements et le nombre limité d’antifongiques disponibles soulignent un besoin urgent de nouvelles stratégies thérapeutiques.
Nous explorons la possibilité de cibler une voie épigénétique impliquant l’acétylation des histones à l’aide de petites molécules inhibitrices dans le cadre d’une approche antifongique innovante.
Bromodomaines et protéines BET. Les modifications post-traductionnelles des histones, telles que l’acétylation des lysines, jouent un rôle clé dans la régulation de la chromatine. Certaines protéines interagissant avec la chromatine reconnaissent ces modifications via des domaines spécialisés appelés bromodomaines, qui se lient aux lysines acétylées grâce à une poche hydrophobe. Les protéines BET sont des régulateurs transcriptionnels qui se fixent sur la chromatine acétylée et possèdent deux bromodomaines. Nous avons découvert qu’un seul bromodomaine BET peut reconnaître simultanément deux lysines acétylées, révélant un nouveau mode de lecture combinatoire des modifications des histones [1].
Les inhibiteurs BET comme agents antifongiques potentiels. Ces dernières années, l’intérêt pour les bromodomaines BET a explosé, avec plusieurs inhibiteurs BET en développement pour le traitement du cancer, du diabète ainsi que des maladies cardiovasculaires et inflammatoires [2]. En collaboration avec des partenaires français et américains, nous avons étudié la possibilité qu’une inhibition sélective de la protéine BET fongique Bdf1 constitue une stratégie antifongique efficace contre les espèces de Candida, des pathogènes fongiques majeurs.
Nous avons montré que l’activité des bromodomaines de Bdf1 est essentielle à la viabilité fongique et identifié des petites molécules capables d’inhiber l’un ou l’autre des deux bromodomaines de Bdf1 sans affecter leurs homologues humains [3]. L’optimisation chimique nous a permis de développer des inhibiteurs améliorés et d’affiner notre compréhension de leur mécanisme d’action [4].
Avancée dans le développement des inhibiteurs BET antifongiques. L’un des principaux défis dans le développement d’inhibiteurs BET antifongiques est la nécessité d’inhiber simultanément les deux bromodomaines de Bdf1 et la difficulté d’évaluer leur efficacité antifongique spécifique. Récemment, nous avons identifié un inhibiteur ciblant spécifiquement les deux bromodomaines de Bdf1 tout en épargnant ceux des BET humains. Nous avons également démontré son activité antifongique ciblée grâce à un test innovant NanoBiT et à des souches de Candida "humanisées", dans lesquelles les bromodomaines de Bdf1 ont été remplacés par leurs équivalents humains. Ces travaux nous ont permis d’identifier un inhibiteur BET qui cible les deux bromodomaines de Bdf1, inhibe un large spectre d’espèces de Candida et démontre une efficacité dans un modèle d’infection préclinique [5].
Ces résultats constituent une preuve de concept essentielle et mettent en lumière le potentiel des inhibiteurs BET en tant que nouvelle classe d’agents antifongiques.
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Publications :
[1] Morinière J et al., Cooperative binding of two acetylation marks on a histone tail by a single bromodomain. Nature 2009 461:664-8
[2] Ferri E et al., Bromodomains : structure, function and pharmacology of inhibition. Biochem Pharm 2016 106:1-18.
[3] Mietton F et al. Selective BET bromodomain inhibition as an antifungal therapeutic strategy. Nature Comm 2017, 8:15482
[4] Zhou Y et al., Towards More Potent Imidazopyridine Inhibitors of Candida albicans Bdf1 : Modeling the Role of Structural Waters in Selective Ligand Binding. J Comput Chem 2022, 43:2121-2130
[5] Wei K et al., Humanized Candida and NanoBiT Assays Expedite Discovery of Bdf1 Bromodomain Inhibitors with Antifungal Potential. Adv Sci . 2025 Jan 16:e2404260