L’évolution est le processus biologique le plus fondamental. Il est essentiel au maintien du vivant dans un monde en perpétuel changement. Les processus d’évolution impactent l’organisation génomique, la forme, les fonctions et le phénotype des cellules et de leurs biomolécules. Décrire et comprendre les propriétés des protéines ne peut donc se faire que si leur dimension « historique » est prise en compte. En effet toutes les protéines contemporaines sont le fruit de cheminements évolutifs au cours desquels un ensemble de mutations se sont accumulées à partir de protéines primitives. Ces mutations peuvent être neutres, permissives, déstabilisantes, compensatoires, facilitatrices etc. Il en résulte des changements phénotypiques qui ne sont donc pas linéaires dans le temps mais ressemblent plutôt à des variations en dents de scie. La biochimie évolutive permet donc de comprendre le processus fondamental d’échange entre les propriétés dynamiques, structurales et fonctionnelles des enzymes.
A l’aide d’une approche de reconstruction de séquences ancestrales et de résurrection de protéines primitives des chercheurs de l’Institut de Biologie Structurale (IBS, Grenoble) en collaboration avec l’Institut National de Recherche en Science et Technologie du Numérique (INRIA Rennes) et le Laboratoire de Biométrie et Biologie Evolutive (LBBE, Lyon) ont récapitulé l’histoire adaptative d’une enzyme du métabolisme face à des conditions physico-chimique extrêmes sur une période de 500 millions d’années. Dans cette étude les chercheurs ont utilisé des malates déshydrogénases issues d’organismes qui vivent dans des environnements ultra salés : les Haloarchaea. Ils ont ressuscité plusieurs protéines ancestrales et comparé leurs propriétés à celles issues de divers hôtes contemporains. Ils ont montré que l’enzyme de l’ancêtre commun le plus ancien des Haloarchaea présente une stabilité conformationelle faiblement dépendante de la concentration en sel du milieu. Dans cette étude, ces chercheurs ont montré que des processus très différents sont à l’œuvre dans le processus adaptatif par rapport aux effets délétères de la forte salinité. De manière inattendue, ils ont analysé que des mutations déstabilisantes dans une circonstance donnée pouvaient être à l’origine d’un gain de stabilité permettant une adaptation secondaire dans un environnement où règne un très haut pH. Ces chercheurs ont aussi montré le rôle très important des transferts latéraux de gènes entre espèces qui permettent une réponse moléculaire adaptative très rapide.
Ces travaux ont révélé que l’activité, la stabilité et la solubilité d’une enzyme sont des paramètres qui évoluent indépendamment les uns des autres, au cours d’un processus adaptatif. Ceci est une donnée essentielle qui doit être prise en compte par les chercheurs qui s’intéressent à l’ingénierie protéique.
Resurrection of Ancestral Malate Dehydrogenases Reveals the Evolutionary History of Halobacterial Proteins : Deciphering gene trajectories and changes in biochemical properties. Samuel Blanquart, Mathieu Groussin, Aline Le Roy, Gergely J Szöllosi, Eric Girard, Bruno Franzetti, Manolo Gouy and Dominique Madern. Molecular Biology and Evolution. Mai 2021
Contact : Dominique Madern, chercheur CNRS de l’IBS (Groupe Extremophiles et grands assemblages moléculaires)