L’organisation du génome du virus responsable de la grippe détaillée

Un outil développé à partir de nucléoprotéine virale recombinante et d’ARN synthétique, permet de proposer un modèle d’organisation du génome du virus responsable de la grippe. Dans un article publié dans la revue Science Advances, les scientifiques ont étudié, par cryo-microscopie électronique, l’assemblage de la nucléoprotéine grippale en hélice permettant ainsi de détailler les interactions protéine-protéine et protéine-ARN au sein d’une nucléocapside.

Depuis octobre 2021, l’Europe subit l’épizootie d’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) la plus dévastatrice qu’elle ait jamais connue. Maladie virale hautement contagieuse qui affecte à la fois les oiseaux domestiques et sauvages, la propagation du virus qui en est responsable semble d’essouffler (le Ministère de l’agriculture a recensé un total de 401 foyers confirmés dans des élevages entre août 2022 et juillet 2023, plus d’un tiers de moins que pour l’exercice précédent) et La France a ainsi , conformément aux dispositions de l’Organisation mondiale de la santé animale OMSA, récupéré son statut « indemne » d’IAHP le 14 août 2023. Il n’en demeure pas moins que le virus reste sous très haute surveillance du fait du classement du virus influenza comme agent pathogène à haut potentiel pandémique par l’OMS.

Le génome du virus de la grippe A est composé de huit molécules d’ARN simple brin de polarité négative (A). Chacune est recouverte de multiples copies de nucléoprotéines virales (NP) et leurs extrémités 3’ et 5’ interagissent avec une ARN-polymérase pour former le complexe ribonucléoprotéique (RNP), entité fonctionnelle de la prolifération virale. Extraites directement du virus et observées par microscopie électronique, les RNPs apparaissent être des architectures complexes, extrêmement flexibles et hautement dynamiques (B). Leurs études par cryo-microscopie électronique (cryo-ME) avaient tout juste jusqu’à présent permis d’obtenir uniquement une enveloppe moléculaire dans laquelle un positionnement imprécis des molécules de NP avait été proposé mais sans apporter de détail quant à l’interaction avec l’ARN viral.

Dans cet article publié dans la revue Science Advances, les scientifiques du Groupe Machines de Réplication Virale de l’IBS ont pris le parti de ne pas partir de RNPs purifiées à partir de virus. En s’appuyant sur leur expertise acquise lors des dix dernières années dans l’expression et la purification de la protéine NP recombinante, ils ont développé un protocole permettant d’auto-assembler in vitro à partir de protéines NP recombinantes et de petites sondes d’ARN des particules de type-RNP (C). En développant cette approche, ils ont pu produire nettement plus de matériel biologique qu’en partant de virus, condition primordiale pour mener une étude à haute résolution par cryo-ME. Les conditions expérimentales optimales pour la cryo-ME ont été mises au point sur la plateforme de microscopie électronique de l’ISBG (UMS3518) avant l’obtention d’un jeu de données de 27,000 films grâce au microscope électronique Titan Krios de la ligne CM01 de l’ESRF. Lors du traitement des données, les filaments (RNP) les plus rectilignes ont été sélectionnés et découpés in silico en segments se chevauchant. Une fois triés, les 227000 segments de plus haute qualité classifiés et moyennés pour générer un premier modèle tridimensionnel à résolution nanométrique. Ce modèle souffrant de la flexibilité inhérente aux particules de type-RNP produites, un affinement localisé a été effectué permettant d’aboutir in fine à un modèle à 5 Å de résolution (D).

Les scientifiques disposent maintenant d’une reconstruction 3D à haute résolution de ces particules similaires aux RNP grippales. Celle-ci permet de comprendre comment les molécules de nucléoprotéine interagissent entre elles au sein de cette architecture complexe flexible. Ce mode d’interaction est fortement similaire à celui observé dans les structures tridimensionnelles obtenues par diffraction des rayons X. Par contre, cette reconstruction tridimensionnelle à résolution subnanométrique obtenue par cryo-ME permet pour la première fois de visualiser l’agencement de l’ARN au sein des RNPs. Si l’ARN semble participer à la structuration de cette architecture complexe, il peut coulisser librement à la surface des protéines, sans doute pour pouvoir être facilement accessible pour l’ARN polymérase lors du cycle viral du virus de la grippe (réplication et traduction de l’information génétique au niveau des RNPs).

Cryo-EM structure of influenza helical nucleocapsid reveals NP-NP and NP-RNA interactions as a model for the genome encapsidation. Florian Chenavier, Leandro F. Estrozi, Jean-Marie Teulon, Eleftherios Zarkadas, Lily-Lorette Freslon, Jean-Luc Pellequer, Rob W.H. Ruigrok, Guy Schoehn, Allison Ballandras-Colas, Thibaut Crépin. Science Advances 2023 ; 9(50):eadj9974.
doi : 10.1126/sciadv.adj9974

Contact : Thibaut Crepin, chercheur CNRS de l’IBS (Groupe Machines de Réplication Virale)