Alors que les humains brûlent du méthane pour produire de l’énergie afin de chauffer leurs maisons, certains microbes « brûlent » du méthane sans oxygène pour acquérir leur énergie cellulaire. Ce processus est réalisé par un groupe de microbes appelés archées méthanotrophes anaérobies (ANMEs), qui se nourrissent de méthane pour relâcher du CO2. Pourquoi ces formes de vie invisibles sont-elles importantes ? Parce qu’elles sont les principaux acteurs du cycle planétaire du carbone. Dans les sédiments marins dépourvus d’oxygène, les ANMEs consomment environ 70 % du méthane avant qu’il ne soit libéré dans l’atmosphère. Dans les systèmes terrestres et d’eau douce, les ANMEs peuvent consommer la moitié du méthane émis. Par conséquent, grâce à leur chimie remarquable, elles empêchent l’accumulation du gaz à effet de serre dans notre atmosphère et jouent un rôle crucial dans le bilan carbone. Décrire comment les ANMEs transforment le méthane en CO2 est d’un grand intérêt non seulement pour les microbiologistes, mais aussi pour les chimistes, qui peuvent s’inspirer des merveilles du monde microbien pour produire des catalyseurs efficaces. Malheureusement, aucune ANME n’a été isolée jusqu’à présent sur une boîte de Petri ou en culture, ce qui limite l’étude biochimique des enzymes qui effectuent leurs réactions chimiques.
Des chercheurs de l’IBS, de l’ESRF, de la société Max Planck (microbiologie marine, Brême et microbiologie terrestre, Marbourg) et de l’université Radboud (Pays-Bas) ont collaboré pour comprendre comment les ANMEs capturent le méthane. Leur méthode, non conventionnelle, a consisté à isoler directement l´enzyme à partir d’une communauté microbienne. Dans ce tour de force, le groupe du docteur Wagner a prouvé qu’il était effectivement possible d’isoler l’enzyme qui capture le méthane à partir de trois échantillons biologiques différents : un enrichissement marin cultivé pendant deux décennies et deux bioréacteurs cultivant des ANMEs d’eau douce.
Les structures cristallines des trois enzymes ont été obtenues à une résolution atomique, fournissant des informations détaillées sur ce système. Ils ont constaté que le catalyseur à nickel et le site actif sont identiques à ceux de l’enzyme homologue des méthanogènes. En d’autres termes, les ANMEs capturent le méthane avec la même enzyme que celle qui génère le méthane biologique. De manière surprenante, les trois structures présentent une pléthore de modifications post-traductionnelles, dont une qui n’a jamais été observée en biologie : une 3(S)-méthylhistidine. Ces modifications pourraient optimiser la difficile activation du méthane, qui est cinétiquement limitée dans les conditions naturelles.
Ces résultats, publiés dans le journal Nature Communications, marquent le premier succès de l´ERC Consolidator EnLightEn qui finance le projet du Docteur Wagner. Cette aventure scientifique démontre que la biologie structurale des enzymes de la « matière noire microbienne » (microbes non isolés) peut être atteinte par une approche native.
Atomic resolution structures of the methane-activating enzyme in anaerobic methanotrophy reveal extensive post-translational modifications. Marie-C. Müller, Martijn Wissink, Priyadarshini Mukherjee, Nicole Von Possel, Rafael Laso-Pérez, Sylvain Engilberge, Philippe Carpentier, Jörg Kahnt, Gunter Wegener, Cornelia U. Welte, Tristan Wagner. Nature Communications 2025. https://www.nature.com/articles/s41467-025-63387-1
Contact : Tristan Wagner, chercheur CEA du groupe Extremophiles et grands assemblages moléculaires (IBS/ELMA)