Soutenance de thèse : Etude des mécanismes de biosynthèse de la darobactine, un antibiotique efficace contre les pathogènes à gram négative

Localisation

Salle des séminaires IBS

Par Jérémie Ruel (IBS/Groupe Métalloprotéines)

L’augmentation alarmante de la résistance aux antibiotiques dans le monde, associée à une pénurie de médicaments de nouvelle génération pour traiter les infections bactériennes, menace notre capacité à gérer les maladies infectieuses, tant courantes qu’émergentes. Cependant, certains composés naturels, tels que les peptides synthétisés par voie ribosomale et modifiés de manière post-traductionnelle (RiPPs), ont récemment révélé des propriétés antibiotiques prometteuses. Parmi eux, la darobactine A s’est distinguée comme un candidat intéressant, présentant une activité antibiotique ciblée contre les bactéries à Gram négatif.
La darobactine A est un heptapeptide bicyclique remarquable de la famille des RiPPs. Elle présente un pont éther unique entre deux résidus de tryptophane et un pont carbone-carbone entre un tryptophane et une lysine. Ces deux cyclisations confèrent à la darobactine A une conformation rigide en feuillet β, ce qui lui procure ses propriétés antibiotiques spécifiques. Comme d’autres RiPPs, son peptide précurseur linéaire, DarA, possède une structure canonique : une région leader en N-terminal servant de séquence de reconnaissance et une séquence centrale de sept acides aminés en C-terminal, où les modifications enzymatiques ont lieu. Le clivage de la région leader permet ensuite la libération du produit antibiotique mature.
Au cours de la biosynthèse, l’enzyme radicalaire S-adénosylméthionine (rSAM) DarE est responsable de l’introduction de ces deux liaisons chimiques distinctes dans DarA. En utilisant une chimie radicalaire, DarE catalyse la formation des deux liaisons nouvellement formées, l’oxygène exogène nécessaire à la formation du pont éther étant fourni par l’oxygène moléculaire (O₂). Ceci est particulièrement remarquable, car les enzymes rSAM sont habituellement sensibles à l’oxygène en raison de leurs centres fer-soufre. La capacité unique de DarE à tolérer l’oxygène moléculaire malgré cette sensibilité suscite donc un intérêt scientifique considérable.

Dans cette étude, nous présentons la première structure cristalline de DarE en complexe avec son substrat peptidique DarA, offrant des informations cruciales sur la relation structure-fonction de l’enzyme. Nous avons identifié des facteurs de reconnaissance essentiels pour la spécificité du substrat et de la réaction, et exploré comment DarE s’est adaptée pour utiliser l’oxygène moléculaire comme cosubstrat. Par spectroscopie de résonance paramagnétique électronique (RPE), nous avons observé des modifications dans les centres fer-soufre de DarE lors de la liaison au substrat, mettant en évidence comment l’interaction enzyme-substrat ajuste finement les potentiels rédox pour faciliter la catalyse. Ces observations nous permettent de proposer des mécanismes par lesquels DarE catalyse sélectivement la formation du pont éther ou de la liaison C-C directe. De plus, nos études de dynamique moléculaire sur DarE et son substrat ont révélé des voies potentielles facilitant l’accès de l’oxygène au site actif et suggèrent des réarrangements structuraux permettant la réalisation des réactions successives sur le substrat.
En résumé, ces découvertes fournissent une compréhension approfondie du processus catalytique et des adaptations moléculaires permettant à DarE d’effectuer ses réactions de réticulation de manière successive.