Présentation du groupe

Responsable : Malene Jensen

Protéines intrinsèquement désordonnées dans la signalisation cellulaire
Les protéines intrinsèquement désordonnées jouent un rôle régulateur important en biologie et ont été intimement liées à un certain nombre de maladies humaines, ce qui souligne l’importance de comprendre leurs interactions et leurs propriétés conformationnelles au niveau moléculaire. Des études bioinformatiques ont placé les protéines impliquées dans la signalisation cellulaire parmi celles qui présentent les niveaux les plus élevés de désordre intrinsèque dans le protéome humain. Pourtant, du point de vue de la biologie structurale, nos connaissances actuelles sur la transmission des signaux se limitent essentiellement aux structures cristallines des domaines catalytiques repliés des kinases et des phosphatases. Notre groupe de recherche s’intéresse à l’élucidation du rôle du désordre intrinsèque dans les voies de signalisation cellulaire des protéines kinases activées par les mitogènes (MAPK), en se concentrant particulièrement sur l’assemblage des complexes d’échafaudage.

Les protéines kinases activées par les mitogènes et le rôle des protéines d’échafaudage
Les protéines kinases activées par les mitogènes (MAPKs) sont des composants essentiels des réseaux de transduction du signal eucaryote, qui transfèrent les signaux des récepteurs cellulaires activés à divers compartiments cellulaires, comme le noyau, où ces signaux controllent les processus cellulaires tels que l’activation de la transcription de gènes, la synthèse de protéines, le cycle cellulaire, la mort cellulaire et la différentiation. Les voies de signalisation MAPK se composent de trois protéines kinases agissant de façon séquentielle, qui forment un module de signalisation : une MKKK phosphoryle – et ce faisant, active – une MKK, qui à son tour active une MAPK par phoshporylation. La MAPK activée peut alors phosphoryler divers substrats, par exemple des régulateurs transcriptionnels. Quatre voies de signalisation principales ont été identifiées : deux voies ERK (kinase régulée par signal extracellulaire), p38 et JNK.

Une des questions actuellement en suspens à propos de la signalisation par MAPK est de comprendre comment la spécificité est régulée au niveau moléculaire. Des protéines d’échafaudage intrinsèquement désordonnées jouent un rôle crucial pour la spécificité du signal en assemblant plusieurs kinases au sein de complexes de signalisation dynamiques. Cet assemblage aboutit à l’activation séquentielle des kinases impliquées, tout en évitant une réactivité croisée avec les voies de signalisation voisines. Malgré la découverte du rôle des protéines d’échafaudage il y a plus de 20 ans, nous n’avons toujours que peu d’informations quant aux mécanismes qu’elles emploient. Ceci est principalement dû à la nature dynamique de beaucoup d’échafaudages, avec des domaines intrinsèquement désordonnés couvrant jusqu’à 600 acides aminés consécutifs. Cela pose un certain nombre de défis pour la biologie structurale, puisque l’obtention d’informations à résolution atomique sur ces régions hautement dynamiques est nécessaire pour déchiffrer les détails moléculaires et mécanismes de régulations sous-jacents à la fonction des protéines d’échafaudage.
Le but de notre recherche est d’obtenir une description mécanistique complète des protéines d’échafaudage au sein de la voie de signalisation cellulaire c-Jun N-terminal kinase (JNK). Nous révélerons de quelle façon les protéines d’échafaudage JNK recrutent et discriminent entre différentes kinases, comment le signal est transmis à travers les complexes d’échafaudage et de quelle manière la phosphorylation permet leur régulation. Cela inclus cartographier de façon précise les sites d’interaction et temps de résidence des kinases et phosphatases sur les échafaudages, et la détermination des affinités, de la structure et de la dynamique des sous-complexes. De plus, nous assemblons des échafaudages entiers en complexes de « super » échafaudage pour révéler la hiérarchie d’assemblage et les interactions entre kinases et phosphatases, de façon à sonder les réarrangements structuraux, dynamiques et allostériques des protéines d’échafaudage durant l’assemblage. Enfin, nous nous intéressons également au rôle des modification post-traductionnelles, avec la cartographie des sites de phosphorylation dans les protéines d’échafaudage et l’étude de l’impact de ces modifications dans la régulation des interactions avec kinases et phosphatases et dans l’assemblage des complexes en général.

Méthodologie et techniques expérimentales
Nous utilisons une approche multi disciplinaire dans laquelle la technique expérimentale principale est la spectroscopie par résonance magnétique nucléaire (RMN), qui permet d’obtenir des informations à résolution atomique à propos des protéines intrinsèquement désordonnées (PIDs). En particulier, la RMN permet la caractérisation de la structure et de la dynamique des PIDs et la cartographie de leurs mécanismes d’interaction. Nous employons une vaste gamme de techniques RMN pour étudier l’assemblage de complexes dynamiques, notamment les techniques d’échange RMN, comme le transfert de saturation par échange chimique (CEST), la dispersion de relaxation CPMG et R1rho, qui permettent d’explorer les processus d’échanges conformationnels ayant lieu à des échelles de temps allant de quelques millisecondes à plusieurs dizaines de microsecondes.
Nous combinons nos études par RMN avec la cristallographie aux rayons X, en collaboration avec le groupe de recherche d’Andrés Palencia (IAB, Grenoble) pour obtenir les structures de kinases et de phosphatases en complexe avec les motifs linéaires des PIDs. L’obtention d’informations structurales à haute résolution nous permet d’identifier les interactions stabilisatrices nécessaires à la formation du complexe et de choisir des mutations appropriées pour des tests in cellulo.
Les données de biologie structurales sont complémentées par des mesures biophysiques, essentiellement par de la titration calorimétrique isotherme (ITC) qui nous renseigne sur l’affinité, la stœchiométrie et le profil thermodynamique des complexes.
Enfin, de façon importante, nous validons nos interactions in cellulo en collaboration avec le groupe de recherche de Roger Davis (University of Massachusetts Medical School). Cela passe par la quantification de la signalisation à travers les complexes d’échafaudage lors de la mutation de résidus spécifiques ou de région complètes étant identifiées comme cruciales pour l’assemblage du complexe. De cette façon, nous sommes en mesure de lier nos études en biologie structurale et la fonction des protéines d’échafaudage dans un contexte cellulaire.

Applications et aspects translationnels de notre recherche
La dérégulation des voies de signalisation MAPK est impliquée dans le développement et la progression de cancers humain. Les MAPKs représentent donc une cible prometteuse pour le développement de médicaments. La communauté académique ainsi que l’industrie ont investi dans le développement d’inhibiteurs de MAPK en ciblant la poche d’interaction de l’ATP. Ces investissements ont seulement abouti à des inhibiteurs sous-optimaux, dont beaucoup souffrent d’un manque de spécificité, puisque la poche d’interaction de l’ATP est hautement conservée chez les kinases. Un objectif à long terme de nos recherches est donc de proposer une stratégie nouvelle de contrôle de l’activité des MAPK, c’est-à-dire d’interférer avec les interactions protéines-protéines médiées par les protéines d’échafaudage. Nos études à résolution atomiques des mécanismes d’action de cette famille de protéines, combinées à des validations in cellulo, apporterons des informations inestimables pour guider la chimie médicinale dans le développement de médicaments contre le cancer de nouvelle génération.