Enveloppe de la spore bactérienne

Responsable : Cécile Morlot

Collaborations :

C. Rodrigues, Warwick University, UK
Benoit Gallet & Christine Moriscot (Team headed by G. Schoehn, IBS)

Les spores bactériennes sont des cellules dormantes qui peuvent résister à un large éventail de stress, notamment aux antibiotiques, aux détergents, à des irradiations et des températures élevées. Cette résistance est un atout lorsque les spores sont utilisées au profit de l’Homme (probiotiques, technologies d’administration à base de spores), mais elle représente un problème majeur en termes de maladies infectieuses, de sécurité alimentaire ou de guerre biologique lorsqu’il s’agit de spores de bactéries pathogènes (spores de Bacillus anthracis ou de Clostridium difficile).
Lors d’un stress environnemental, les bactéries sporulantes initient un processus de différenciation qui commence par une division asymétrique (stade I), donnant naissance à deux compartiments morphologiquement différents : une grande cellule mère et une petite préspore, dans laquelle une copie complète du chromosome est transférée (stade IIE). Ces deux cellules sont génétiquement identiques, mais elles vont suivre des programmes d’expression génétique spécifiques, régis par des facteurs sigma (σ) finement régulés.
Suite à la division asymétrique, la cellule mère et la préspore sont séparées par un espace intermembranaire (IMS) composé de deux membranes et de peptidoglycane (PG). Les deux cellules vont ensuite subir des changements morphologiques spectaculaires, la forespore étant progressivement internalisée au sein de la cellule mère par un processus phagocytaire appelé "engulfment" (stade IIM), qui nécessite une synthèse et une dégradation coordonnées de PG. La préspore phagocytée est entourée de sa propre membrane cytoplasmique et d’une seconde membrane dérivée de la cellule mère (stade III). La cohésion structurale de ces deux membranes est assurée par le complexe SpoIIIA-SpoIIQ (complexe A-Q), une nanomachine protéique qui traverse l’enveloppe de la préspore et qui est par ailleurs nécessaire au maintien de sa physiologie. Au cours de l’engulfment, des couches de protéines protectrices (appelées "coat") s’assemblent à la surface de la préspore. Un PG modifié, appelé le cortex, est ensuite synthétisé dans l’IMS. La spore mature est finalement libérée dans l’environnement par lyse de la cellule mère (stade VI). La spore peut rester dormante pendant des milliers d’années, tout en restant réceptive à son environnement, de sorte qu’elle puisse germer et reprendre sa croissance végétative en présence de conditions appropriées.

Illustration schématique des principaux changements ultrastructuraux au cours de la sporulation.

Malgré leur importance pour l’acquisition des propriétés de résistance, les mécanismes impliqués dans le développement des spores ne sont pas encore totalement élucidés, principalement parce qu’ils impliquent des complexes macromoléculaires de dimensions nanométriques, dont l’assemblage nécessite généralement l’environnement cellulaire.
Un premier exemple est le complexe multiprotéique transmembranaire A-Q (> 2 MDa). En son absence, la spore présente des défauts de forme et n’acquiert pas la capacité de résister à des environnements extrêmes. La structure et la fonction du complexe A-Q restent énigmatiques, mais ses similitudes structurales avec des systèmes de sécrétion spécialisés et des pompes à protons suggèrent qu’il pourrait s’agir d’un nouveau type de machinerie de transport, permettant à la cellule mère de "nourrir" la spore ou de transporter des molécules spécifiques entre les deux compartiments cellulaires (Morlot et Rodrigues, Trends Microbiol., 2018). Nous étudions ce complexe chez Bacillus subtilis pour élucider ses relations structurales et évolutives avec d’autres systèmes de transport, pour déterminer la nature de la molécule sécrétée et son rôle dans le développement des spores (Collab. C. Rodrigues, Warwick Univ.). Nous avons découvert que le composant A-Q appelé SpoIIIAG (AG) forme de grands anneaux homo-oligomériques dont l’architecture et les dimensions rappellent les composants annulaires des systèmes de sécrétion de type III (Rodrigues et al., PNAS, 2016). En outre, l’analyse structurale de diverses protéines associées au complexe A-Q a révélé des motifs structuraux nécessaires à la formations d’anneaux et ouvert des pistes de recherche sur des fonctions alternatives (https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1047847718302703?via%3Dihub ; Liu et al., J. Struct. Biol., 2022).
Nous développons maintenant des approches de cryo-tomographie pour étudier la structure du complexe A-Q in cellulo.

A. Cellules de B. subtilis sporulantes exprimant une protéine localisée autour de la préspore et fusionnée à la GFP. Les membranes sont marquées avec un fluorophore (rouge). B. Modèle de l’assemblage du complexe A-Q à l’interface entre la cellule mère et la spore en développement. L’illustration montre l’anneau AG (cyan), des anneaux putatifs s’empilant dans l’espace intermembranaire et des pores membranaires hypothétiques (gris). C. Structure cristallographique d’une protéine de sporulation contenant un motif canonique de construction d’anneaux (vert) et des structures secondaires supplémentaires (orange).

Parmi les déterminants de la résistance des spores figure une carapace extracellulaire constituée de couches protéiques appelées manteau ou "coat". Son assemblage repose sur un réseau complexe d’interactions impliquant d’abord une dizaine de protéines morphogénétiques, puis plus de 80 protéines différentes. Malgré leur importance pour l’acquisition des propriétés de résistance, l’architecture des différentes couches du manteau reste mal comprise, car leur dépôt et leur maturation est un processus long (> 7 h) et complexe. En collaboration avec le groupe de Guy Schoehn à l’IBS, nous utilisons la cryo-tomographie électronique (cryo-ET) sur des lamelles de spores générées par cryo-FIBM/SEM (cryo-focused ion beam milling coupled to scanning electron microscopy) pour étudier la formation de l’enveloppe chez B. subtilis. Nous avons récemment montré qu’à des stades précoces de sporulation, le manteau est constitué d’un empilement de couches embryonnaires distinctes, dont l’architecture nécessite des protéines morphogénétiques spécifiques (Bauda et al., Nature Comm., 2024).
Ce travail fournit un socle de connaissances de départ pour la dissection des mécanismes moléculaires impliqués dans le développement et la résistance de la spore bactérienne. Notre prochain objectif est de développer le cryo-CLEM super-résolu (cryo-PALM couplé à la cryo-FIBM/SEM et à la cryo-tomographie) afin d’élucider la structure et la composition des couches de l’enveloppe tout au long du cycle de sporulation.

Tranche de tomograme (panneau de gauche) montrant l’ultrastructure d’une cellule sporulante de B. subtilis. Le tomograme a permis de segmenter (panneaux du milieu et de droite) divers composants de la préspore et de la cellule mère.