Responsable : Cécile Morlot
Assemblage et architecture du peptidoglycane
Collaborations :
C. Grangeasse, MMSB, Lyon
YS. Wong, DPM, Grenoble
L. Pasquina-Lemonche, Sheffield University, UK
C. Moriscot & B. Gallet (Team headed by G. Schoehn), IBS, Grenoble
La croissance, la division et la survie des bactéries sont intimement liées à la synthèse et à la maturation de la paroi cellulaire. La paroi offre une résistance mécanique aux stress externes et internes (comme la pression de turgescence) et confère à la cellule une forme spécifique. Elle est également impliquée dans les interactions avec les organismes voisins (cellules procaryotes et eucaryotes), dans la reconnaissance des bactéries par le système immunitaire inné de l’hôte, et son assemblage est la cible de nombreux antibiotiques. La paroi cellulaire est donc un pilier central de la vie bactérienne.
Chez les bactéries à Gram positif, la paroi contient deux composants principaux, le peptidoglycane (PG, un maillage très résistant de chaînes de glycanes réticulées par de courts peptides) et les acides teichoïques (TA, des répétitions d’unités polysaccharidiques complexes). Cible éminente de nos antibiotiques les plus efficaces (β-lactames et glycopeptides), le PG a été largement étudié, mais les mécanismes par lesquels il atteint sa composition et son architecture finales restent obscurs.
Notre modèle principal pour l’étude de l’assemblage et de l’architecture du PG est le pathogène humain opportuniste Streptococcus pneumoniae (le pneumocoque). Le pneumocoque est une bactérie ovoïde Gram-positive commensale de la flore naso-pharyngée d’environ 10 % de la population humaine. Lorsqu’il envahit d’autres sites, il provoque diverses maladies telles que l’otite, la pneumonie, la bactériémie et la méningite, tuant plus d’un million de personnes par an dans le monde.

Le PG est une maille tridimensionnelle constituée de chaînes de glycanes réticulées par des ponts peptidiques. Sa synthèse débute dans le cytoplasme où une cascade d’enzymes synthétise un précurseur appelé le lipide II, un disaccharide-pentapeptide lié à un lipide, positionné sur la face interne de la membrane cytoplasmique. Chez de nombreuses espèces Gram-positives, le deuxième résidu du peptide est une D-iso-glutamine, qui résulte de l’amidation d’un D-glutamate par le complexe cytoplasmique essentiel MurT/GatD. Notre étude structure-fonction de MurT/GatD de S. pneumoniae a révélé l’interface moléculaire du complexe et les résidus impliqués dans son activité amidotransférase, apportant des éléments fondamentaux pour le développement de nouveaux antibiotiques (Morlot et al., Nat. Commun., 2018).

Les deux derniers résidus du pentapeptide sont des D-alanines (D-Ala), ajoutées par la ligase MurF sous la forme d’un dipeptide D-Ala-D-Ala (appelé DADA par la suite). Une fois formé, le lipide II est transloqué vers la face externe de la membrane où il est polymérisé et réticulé au réseau de PG existant par les Penicillin-Binding Proteins (PBPs) et les protéines SEDS (Shape Elongation, Division and Sporulation). Pour atteindre ses propriétés finales (composition, forme, élasticité), le PG nécessite un clivage partiel par des hydrolases, une N-désacétylation et une O-acétylation de ses chaînes glycanes, et une décoration par des macromolécules telles que les TA.
Malgré l’importance du PG pour la prolifération et la survie des cellules, nous comprenons encore mal comment il est assemblé et remodelé dans l’espace et le temps pour assurer la division, la forme et l’intégrité des cellules. Ceci est particulièrement vrai pour les bactéries de forme ovoïde telles que les streptocoques et les entérocoques, chez lesquelles deux modes différents d’assemblage du PG, dédiés à la division cellulaire (synthèse de PG septal, sPG) et à l’élongation (synthèse de PG périphérique, pPG), sont confinés dans une région annulaire dont les dimensions flirtent avec la résolution de la microscopie de fluorescence conventionnelle, qui est limitée par la diffraction de la lumière ( 250 nm). En effet, la protéine de division majeure FtsZ, qui recrute les synthases de PG au début du cycle cellulaire, forme une structure annulaire (appelée anneau Z) d’une centaine de nanomètres de large, comme le montre notre étude de FtsZ en microscopie super-résolue PALM (PhotoActivated Localization Microscopy) (Jacq et al., mBio, 2015).
Pour comprendre comment le PG est assemblé et maturé à haute résolution spatiale et temporelle, nous étudions sa biosynthèse par des techniques de marquage métabolique, de microscopie de localisation à molécule unique et de génétique microbienne (Collab. C. Grangeasse, MMSB Lyon ; YS Wong, DPM). Le marquage est réalisé par incorporation métabolique de dérivés de D-alanine dans le PG en expansion. Ces sondes portent des fonctions chimiques qui permettent leur conjugaison à des molécules fluorescentes par chimie click (Trouve et al., STAR Protoc., 2021). Les cellules marquées sont ensuite observées par microscopie super-résolue dSTORM (direct STochastic Optical Reconstruction Microscopy) pour observer l’assemblage et le remodelage du PG à l’échelle nanométrique au cours du cycle cellulaire de S. pneumoniae video. Grâce à cette approche, nous pouvons localiser les sites de synthèse du PG, détecter des variations dans les dimensions des régions de synthèse avec une précision de 30 nm et quantifier les quantités relatives de PG synthétisé. Nous utilisons ensuite nos données expérimentales pour simuler la morphogenèse d’une cellule ovoïde in silico et tester diverses hypothèses concernant la dynamique de synthèse du PG. Nos résultats ont révélé que la morphogenèse des ovocoques repose sur la synthèse de sPG, qui est ensuite clivé à sa périphérie pour former la paroi latérale, dans laquelle est inséré le pPG (Trouve et al., Curr. Biol., 2021).
Nous appliquons maintenant notre approche à des souches mutantes, afin d’élucider la fonction des gènes impliqués dans l’assemblage et le remodelage du PG.

Assemblage et maturation des acides téichoïques
Collaborations :
C. Grangeasse, MMSB, Lyon
YS. Wong, DPM, Grenoble
C. Laguri (Team headed by F. Fieschi), IBS, Grenoble
C. Moriscot & B. Gallet (Team headed by G. Schoehn), IBS, Grenoble
Par rapport au PG, notre connaissance de la dynamique de synthèse et de maturation des acides teichoïques (TA) est beaucoup plus limitée. Ces lacunes sont d’autant plus dramatiques que les TA sont impliqués dans un large éventail de processus, notamment la morphogenèse et la division cellulaire, l’autolyse, la formation de biofilms, l’adhésion aux tissus de l’hôte et l’infection, l’homéostasie ionique, la sensibilité aux antibiotiques et aux peptides antimicrobiens cationiques. Les TA jouent un rôle particulièrement important chez S. pneumoniae, où ils sont décorés de résidus phosphorylcholine (PCho) qui retiennent et, dans certains cas, activent les Choline-Binding Proteins (CBPs) à la surface de la cellule (Frolet et al., BMC Microbiol., 2010). Les CBPs sont impliquées dans le remodelage du PG (insertion de nouveau matériel, séparation des cellules filles), l’autolyse, la compétence et les interactions avec les cellules hôtes (Bonnet et al., Cell Surf, 2018). Par conséquent chez S. pneumoniae, les Cho confèrent aux TA des rôles cruciaux dans la physiologie, la division et la virulence de la cellule.
Les TA sont des polysaccharides linéaires complexes, assemblés à partir d’un précurseur commun, qui peut être transféré sur le PG (WTA pour Wall Teichoic Acids) ou ancré à la membrane cytoplasmique (LTA pour LipoTeichoic Acids). La synthèse et la maturation des TA sont peu décrites dans la littérature car la plupart des souches bactériennes ne possèdent pas de constituants spécifiques des TA permettant un marquage sans ambiguïté. Nous avons développé une méthode pionnière de marquage des TA (Collab. YS Wong, DPM), basée sur l’incorporation de dérivés de Cho cliquables, conjugués à un fluorophore portant une fonction cliquable correspondante (Bonnet et al., ACS Chem Biol, 2018).
Nous avons récemment optimisé le marquage des TA pour le dSTORM et établi une méthode biochimique pour isoler les WTA et les LTA, et les observer par électrophorèse sur gel. En utilisant cette combinaison de techniques, ainsi que la RMN (Collab. C. Laguri, IBS), la microscopie électronique cellulaire (Collab. G. Schoehn, IBS) et la génétique microbienne (Collab. C. Grangeasse, MMSB, Lyon), nous étudions les mécanismes de synthèse et de maturation des TA chez S. pneumoniae, ainsi que leur interaction avec les processus associés au PG.

Membranes
Collaborations :
J. Jouhet, IRIG, CEA Grenoble.
Les enzymes qui synthétisent la paroi cellulaire et la plupart des protéines morphogénétiques sont des protéines membranaires. Les précurseurs du PG et des TA sont également membranaires. Nous avons étudié le rôle de la nature des lipides membranaires dans la morphogenèse. En utilisant une combinaison de sondes lipidiques fluorescentes, nous avons découvert l’existence de différentes phases lipidiques physiques localisées selon la géométrie cellulaire. Les phases lipidiques peuvent à leur tour localiser des protéines morphogénétiques (Calvez et al. Front. Microbiol., 2019).

Résistance aux bêta-lactamines
Collaborations :
S. Fort, CERMAV, Grenoble
C. Contreras-Martel (Group headed by A. Dessen), IBS, Grenoble
Les protéines de liaison à la pénicilline (PBPs) sont les cibles des bêta-lactamines, qui sont les antibiotiques les plus utilisés (pénicillines, céphalosporines, carbapénèmes). Les PBPs sont des transpeptidases qui catalysent la réticulation du PG. Les pathogènes tels que Staphylococcus aureus, les entérocoques, Neisseria ssp. et S. pneumoniae deviennent résistants aux pénicillines par expression de PBPs de faible affinité pour les bêta-lactamines. Ces médicaments ayant une structure qui imite celle du substrat naturel des PBPs, comment les PBPs des souches résistantes ont-elles perdu leur réactivité aux bêta-lactamines tout en conservant leur fonction enzymatique ?
Bien que la réaction entre les PBPs et les β-lactamines soit bien comprise sur le plan cinétique et structural, la réaction de transpeptidation catalysée par les PBPs a été peu étudiée en raison de la difficulté à produire des substrats synthétiques. Les progrès réalisés dans le domaine de l’enzymologie des PBPs ont récemment permis de découvrir certaines exigences relatives aux substrats de la réaction de transpeptidation, mais les informations structurales sur l’interaction PBP-substrat font toujours défaut. Nous avons mis en place une approche chemo-enzymatique qui permet de synthétiser des fragments de PG de taille définie (Collab. S. Fort, CERMAV), que nous utilisons pour caractériser l’interaction entre les PBPs et leurs substrats, en combinant la cristallographie aux rayons X et la RMN avec de l’enzymologie et des mesures d’affinité. En particulier, nous étudions des variants de PBPs provenant de souches de pneumocoque sensibles et résistantes aux bêta-lactamines.
Ces travaux devraient permettre une compréhension fine du mécanisme enzymatique catalysé par les PBPs, d’élucider la raison pour laquelle certaines bêta-lactamines de dernière génération sont actives contre des souches résistantes à des molécules plus anciennes, et d’améliorer les antibiotiques existants pour les rendre plus efficaces.

Stratégies antibactériennes innovantes pour combattre le pneumocoque
Collaborations :
Y.S. Wong, DPM, Grenoble
I. Pelloux, CHU, Grenoble
La lutte contre la résistance aux antibiotiques est un enjeu majeur de santé publique et nécessite de trouver constamment de nouvelles solutions pour combattre les infections bactériennes. Nous explorons de nouvelles stratégies antibactériennes basées sur le marquage métabolique de la paroi cellulaire par chimie click (Collab. YS Wong). D’un point de vue chimique, la création de liaisons chimiquement contrôlées dans un environnement vivant reste un défi majeur. Nous avons synthétisé de nombreuses sondes PG et TA cliquables, testé leur capacité à s’intégrer dans la paroi du pneumocoque et à réticuler ses deux principaux composants, le PG et les TA. Ce travail a conduit au développement de nouvelles sondes de la paroi, fournissant des outils pour le co-marquage du PG et des TA. En outre, nous avons identifié des paires de molécules cliquables qui réticulent artificiellement la paroi cellulaire du pneumocoque, inhibant ainsi sa croissance.
